En 1966, la Nouvelle Compagnie d’Avignon créait au Théâtre des Carmes pendant le festival, Statues, une pièce d’André Benedetto.
Le TNP avait donné les Troyennes à la cour d’honneur, adaptation de Sartre, avec E.Hirt et Judith Magre. Puis Béjart entra en danse dans le lieu. Grands souvenirs.
On était venus de Rodez en mobylette et nous campions à la Barthelasse, à regarder le Rhône jusqu’au matin. Le festival avait seulement la cour d’honneur et le parvis du petit Palais comme lieux, le Verger pour discuter, et la place de l’horloge pour continuer la palabre toute la nuit.
René Duran avait repéré une toute petite affiche imprimée au pochoir et collée à intervalles réguliers sur le garde corps du pont Daladier. Dans une boulangerie du quartier des Carmes, j’avais remarqué la sculpture baroque de Georges Beaumont qui invitait au spectacle « Statues ». Bref, on a été voir. Ils faisaient des tarifs étudiants et chômeurs. Une porte d’entrée vitrée en bois verni à coté d’un garage Simca. Une petite caissière rieuse sortant tout droit d’un film de J.Eustache nous fait les tickets à la main. Un couloir, puis un espace cubique qui contient la scène et les spectateurs. Ce jour là, on était six en tout, assis sur des sièges rustiques familiers aux cinéphiles. Les échelles étaient en bois, le grill technique, espacé nombre d’or, également. Le décor était une sculpture d’objets usés. La main de l’ouvrier était subliminalement partout.
Le noir. Une voix dans le noir, qui déjà le tient à distance. Miouzic… et c’est la lumière qui vient. A l’intérieur du cube, deux cubes, avec les acteurs plantés dessus. Très proches de nous, à portée de main , sans protection chorégraphique. Le texte comme fumerolles éclairées de l’intérieur au dessus du magma. Je crois entendre quelque malice entre les cubes et l’Hécube des Troyennes, et dans cet espace clos il y a l’univers entier, tout l’espace des questions, intravagantes, extravagantes. Mais c’est aussi un tableau achevé de peintre, une variation de gris et de couleurs délavées, un rétable paîen. Une banderole de papier se déroule « libérez le vietnam », c’est pour le maintenant, avec en sous titre le tempo, c’est pour la musique. Le géant Atlas passe chargé de son monde en ruine, c’est pour le mythe. L’actrice a des allures de cantatrice prophétesse grecque. Lui, par moments, dans son costume empesé, pourrait être ce Godot enfin arrivé de nulle part. Entre les deux, la petite fille installe le rectangle bleu saturé d’une piscine voulue.
On à découvert ce jour là le théâtre Totol, parce que ce théâtre contenait l’autre. Il avait l’inspiration, l’âme et les armes dont nous avions alors besoin. Puis on a discuté un peu avec ce gitan lanceur de couteaux et cette Compagnie si accueillante. On en a parlé aux potes, on est revenus. Dans l’hiver qui suivit, André nous envoya à Rodez une longue lettre tapée en rouge majuscule sur du papier pelure, histoire de dire, on pourrait faire équipée. C’est ce qu’on à fait, finalement.
Maintenant, cinquante ans plus tard, le 7 juillet 2016 au matin, on a posé la plaque du créateur du OFF. Etrange distorsion. C’est le théâtre IN qui a été ré-inventé ici.
jmp/06/2016